jeudi 17 avril 2008

Une maison de l’histoire qui met les morts en danger par Sophie Wahnich


Marie Antoinette au Grand Palais, les Parisiens d’André Zucca, à la bibliothèque historique de la ville de Paris, un musée d’histoire nationale en gestation pour les Invalides. Apparemment ce sont là trois faits singuliers, je crois qu’il n’est pas inintéressant de les mettre en relation.
L’exposition sur Marie Antoinette est construite comme un conte de fée, il était une fois une princesse parée de nombreuse vertus et promise à l’héritier du trône de France, elle l’épousa et en mourut. Le récit de cette exposition est totalement anhistorique. Le visiteur ne saura rien sur les alliances matrimoniales comme politique des monarchies de l’époque moderne, quand la princesse est encore à la cour d’Autriche. Il ne saura rien des transformations sociales et culturelles de la période des Lumières, des effets qu’elles peuvent avoir sur la cour, et toujours rien sur la politique menée par le roi ou par la reine. Enfin, il ne saura rien de la Révolution française, puisque les objets et caricatures de la période révolutionnaire sont commentés par les lettres de Marie Antoinette, encore confiante sur un dénouement heureux de la crise, à savoir restaurateur, au duc de Fersen. L’opéra des décors en trois actes est bien pauvre, et aucune musique ne vient ici rendre sensible et racheter le (non) sens de cette vie. Même la mort de Marie Antoinette n’est reliée à aucun discours du moment. Pourtant les révolutionnaires eux-mêmes ont produit des mélodrames mis en musique sur cette vie de reine déchue. Touchés qu’ils étaient par le devoir de faire mourir cette femme pour des raisons politiques alors qu’un sentiment commun d’humanité conduisait à la plaindre du même mouvement. Si Marie Antoinette a un quelconque intérêt pour des héritiers républicains, c’est dans ce conflit d’intolérables, une femme a trahi et elle est pourtant touchante. La politique est morale, mais elle laisse un goût de cendres. Victor Hugo traitait du même conflit de sentiments politiques dans 1793. Mais ici, même l’enquête du spectacle de Robert Hossein qui visait à permettre au spectateur de répondre si oui ou non Marie Antoinette était condamnable, a disparu. Il ne s’agit plus de réfléchir, même sur son propre sens commun. Le parti pris est celui d’un manichéisme niais, l’apitoiement est la seule émotion convoquée, un apitoiement simplet, très loin des sentiments complexes de cette période raffinée. Comme dans un vieux château de la ci-devant aristocratie, le visiteur doit admirer la délicatesse d’une caste et de son décor et déplorer le vandalisme révolutionnaire sans jamais se poser une seule question historique, ne serait-ce qu’un classique pourquoi ? Une amorce de réflexion sur le rôle des images entoure ce flot de tableaux souvent peu réussis et recommencés pour cette raison même, mais on passe très vite à autre chose de désuet et, symptôme de notre temps, qui ravit le public.
Même ravissement à la bibliothèque historique de la ville de Paris. Paris se croit toujours Paris, même sous l’occupation dont on ne souffle mot. Pas de commentaires, admirez l’art et la technique, et circulez. Aucune complexité de l’histoire, aucune interrogation sur ce que dit cette collection, sur la difficulté à manier l’héritage. Ici aussi l’histoire pourtant beaucoup plus proche et sulfureuse est en état d’apesanteur esthétique. Aucune analyse de la séduction d’une propagande efficace. Les lumières des ciels bleus peuvent faire oublier la noirceur des temps. On pourrait considérer que l’ensemble peut travailler comme dénonciation implicite, mais c’est faire fi du travail critique qu’appelle tout travail de propagande cinématographique ou photographique. Le point de vue reste séducteur surtout si le preneur de vue est bon et même doué de qualités artistiques. Cette analyse critique des sources photographiques est désormais le pain quotidien pour tout étudiant qui travaille sur de telles sources. Mais ici il ne s’agit pas d’étudier, ou de réfléchir sur une époque et un point de vue, mais bien de jouir en curieux, en badaud d’une exposition d’images réussies sur une ville magnifique peuplée de femmes et d’hommes élégants.
Un rapport mis à disposition du public le 15 avril, le rapport Lemoine, examine la nécessité de créer aux Invalides un musée d’histoire nationale civile et militaire. Il prétend reprendre à bras le corps une histoire délaissée celle de la constitution de la nation qui repose nous dit-on autant sur des inclusions que sur des exclusions. Certes. Mais quels choix sont faits. Est ce Sieyès qui affirme dans Qu’est-ce que le Tiers Etat qu’en ôtant l’ordre privilégié de la noblesse, la « nation ne serait pas quelque chose de moins mais quelque chose de plus. » Marie Antoinette serait ainsi une exposition négatrice de cette conception de la Nation. Les crimes commis par l’occupation allemande et sous l’occupation allemande sont des crimes que les révolutionnaires auraient qualifiés de lèse nation et de lèse humanité. L’exposition sur les photos de Zucca n’explicitent aucune de ces atteintes à la Nation. Mais le musée de l’histoire nationale civile et militaire qui prétendrait être une maison de l’histoire comme à Budapest il y a une maison des terreurs, ne prétend nullement abriter cette conception de l’histoire. Non ici il s’agit de conforter une autre nation, pas 1789, mais 732, la bataille de Poitiers qui arrête l’invasion arabe. Pas 1789 qui affirme la liberté de culte dans la déclaration des droits mais « 1685 la révocation de l’édit de Nantes qui confirme la tendance longue dans l’histoire de France au « choix de Rome » contre notamment les protestants » (p.15 du rapport). Pas 1789 qui affirme la souveraineté nationale qui est alors du même mouvement une souveraineté populaire mais « 1871, la répression de la commune de Paris qui fonde la possibilité d’une république bourgeoise sur l’écrasement d’une « révolution populaire ». Comme pouvait l’évoquer Walter Benjamin dans ses thèses sur le concept d’histoire, les morts aussi peuvent être en danger.

Nous en sommes là. 


Sophie Wahnich

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