mercredi 1 avril 2009

La ronde des obstinés Depuis le 23 mars, place de grève de l’Hôtel de ville de Paris



Pourquoi le CVUH s’associe au mouvement de grève active dans les Universités et à la lutte contre le démantèlement du système éducatif en général ?
Depuis quelques mois se produisent en France, dans les Universités, lycées, collèges et école des formes de mobilisations inédites témoignant d’une inquiétude généralisée du monde enseignant face à la politique délétère du gouvernement qui s’échine à substituer à la logique éducative et émancipatrice du système éducatif un système basé sur la rentabilité économique et la compétitivité. Dans ce cadre, l’enseignement des sciences sociales et humaines qui vise à accompagner la formation d’une conscience critique chez les élèves et les étudiants se trouve gravement menacé. Nous sommes nombreux au CVUH à prendre part aux actions alternatives de protestation, et pensons que se joue aujourd’hui, à travers cette inventivité politique, le sort d’un des premiers usages publics de l’histoire : son enseignement. ]


Difficile de ne pas s’interroger sur la lutte que nous menons. Nous-mêmes ne connaissons pas son devenir. Cette forme de protestation n’est pas nouvelle ; elle s’est déjà exprimée contre l’intolérance, l’hypocrisie, la mauvaise foi et le mépris ; même si rarement une marche, jour et nuit, a réussi à empêcher une minorité de nantis de confisquer la production collective. Depuis les grèves du XIXe siècle, la résistance s’est souvent affirmée de cette manière, lancinante et pacifique : une ronde des obstinés. Aujourd’hui nous la jugeons à notre tour nécessaire. Nous, étudiants, enseignants, biattos de Paris 8 — rejoints par d’autres étudiants, enseignants chercheurs, d’autres mécontents —, luttons d’abord et avant tout pour conserver à tous nos étudiants, quelle que soit leur origine sociale, un accès égal au savoir, et protestons contre un gouvernement profondément dédaigneux de toute expression démocratique. Nous nous élevons contre les mesures ponctuelles que le gouvernement ose appeler réformes et refusons de contribuer, sous quelque forme que ce soit, au démantèlement de la formation de nos étudiants et à la transformation des universités en entreprises, c’est-à-dire en unités de production de savoirs uniquement « utiles » et professionnels. Les sciences humaines sont particulièrement visées car elles ne sont pas immédiatement monnayables dans une société qui voue un culte à la marchandise. Elles servent effectivement à penser ; à donner les moyens de faire face à la vie quotidienne et professionnelle, en se situant dans le monde présent, comme dans l’histoire ; à maîtriser les concepts ; à savoir lire et comprendre un texte, pour être en capacité de répondre aux demandes sociales et se recycler si nécessaire. Il est vrai que cette forme d’apprentissage du savoir, pour soi, permet d’acquérir la distance critique envers nos gouvernants. Voilà à quoi servent les études. Apprendre à penser à nos étudiants signifie leur donner les outils de connaissances qui leur ouvre la voie d’accès à l’autonomie. Là, est la seule autonomie qui vaille.
L’autonomie des universités, que le gouvernement nous propose, est, elle, une vaste blague ! et les reculs du pouvoir actuel ne sont que des pas de côtés qui ne remettent pas en cause l’idéal néo-libéral de nos gouvernants.
Non ! le savoir n’est pas une marchandise.
L’ultimatum, que nous avons lancé à nos ministères de tutelle, et dans lequel nous demandons le retrait de toutes les mesures prises depuis 2 ans, veut marquer un coup d’arrêt au processus de démolition des apprentissages de la connaissance à l’université — seul lieu ouvert à tout candidat au savoir, après la formation de base dispensée par nos collègues de l’enseignement secondaire.
Depuis plusieurs années déjà, imperceptiblement, le savoir est considéré par ceux qui nous gouvernent, comme une marchandise. Le titre même des paliers franchis jusqu’à la licence porte des noms marchands : unités de valeurs (UV), crédits, éléments constitutifs d’une unité d’enseignement (EC). À l’issue d’un cycle de formation, l’étudiant a comptabilisé les unités acquises désormais par « validation ». Il ne sait plus s’il peut dire qu’il maîtrise une langue, une période historique, une œuvre romanesque, un concept théorique, mais il est certain d’avoir accumulé la quantité suffisante d’EC pour obtenir un diplôme. Qu’importe le contenu, car il suffit d’une quantité x d’éléments comptables. Dans les universités, il n’est plus question d’apprendre à penser mais de savoir compter.
Il en est de même pour les chercheurs. Fichés, classés, expertisés, comptabilisés par le nombre de citations dont leurs écrits font l’objet, ils ne sont plus jugés pour l’originalité de leur projet mais examinés par une Agence (ANR : agence nationale de la recherche) qui décide de l’utilité marchande, éventuellement sociale, de telle ou telle recherche.
La formation des maîtres a minima, que le gouvernement est en train de mettre en place, consiste à dispenser des diplômes de bas niveaux destinés aux enseignants du secondaire précarisés, payés à l’heure de cours effectuée. L’université démantelée correspond précisément aux objectifs du pouvoir : dispenser un savoir immédiatement, recyclable en produit marchand, aux enfants de pauvres, aux gamins des banlieues, aux gosses des classes moyennes appauvries. Depuis ces dernières années, nous le savons, les inégalités sociales se sont accentuées et le nombre d’étudiants issus des classes de salariés s’est considérablement amoindri. Il suffisait donc d’adapter l’université à la réalité économique du moment ! Telle est le devenir que nous prépare le gouvernement et que nous refusons.

La ronde infinie des obstinés, tous ensemble : salariés, retraités, chômeurs, précaires, citoyens qui, dans la rue et ailleurs, résistent, nous disons tout simplement NON. 


Michèle Riot-Sarcey

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