jeudi 8 septembre 2011

A propos du texte de Benoît Rayski, diffusé sur le site Atlantico, « De Vercingétorix à Napoléon : dans les poubelles de l’histoire ». par J-P Chrétien.

Kankou Moussa sur l'Atlas Catalan d'A. Cresques,
XIV° siècle.
Il y a près d’un an, le 19 septembre 2010, nous mettions en lignes sur ce site, Laurence De Cock, Suzanne Citron et moi-même, une réaction argumentée à la campagne pitoyable lancée par un certain Dimitri Casali contre la question d’histoire de l’Afrique introduite dans les programmes de 5e des collèges[1]. Cette campagne avait été, déjà, relayée par Le Figaro. Notre intervention s’intitulait « Virer l’Afrique de l’histoire de France, il paraît que C dans l’air du temps »[2].

Rappelons que ce  programme demande notamment aux enseignants de traiter au choix « une civilisation de l’Afrique subsaharienne » et qu’il énumère le Ghana, le Mali, le Songhaï et le Monomotapa (choisi d’ailleurs maladroitement au lieu de Zimbabwe). Depuis lors, des dossiers ont été publiés[3]. Ils soulignent généralement l’intérêt pour les professeurs de choisir l’empire du Mali, qui bénéficie d’une documentation (textes et iconographie) particulièrement riche et qui est la mieux connue des formations politiques de l’Afrique ancienne, au point d’avoir vu son nom repris par un Etat contemporain.


Les essayistes partis en guerre contre l’histoire de l’Afrique avaient pris un malin plaisir à brandir une sorte de bande dessinée où ils opposaient Songhaï et Monomotapa, dont les noms évoquaient peu de choses à l’opinion française, à Louis XIV et Napoléon, censés incarner l’essence de l’histoire de notre pays.
Cette année, sur le site Atlantico, nous voyons un autre essayiste relancer l’offensive en invoquant cette fois Vercingétorix et Napoléon, pris comme références-phares de la trajectoire historique de la France[4]. L’auteur, Benoît Rayski, avait publié en 2001, aux éditions de L’Aube, un beau livre intitulé L’enfant juif et l’enfant ukrainien, où il prenait position contre le rapprochement entre nazisme et communisme. Depuis lors, il a apparemment viré sa cuti idéologique, et il s’exprime sur un site d’orientation droitière. Mais peu importe à mes yeux ce choix politique, car, dès qu’il est question de l’Afrique, on trouve des positions stupéfiantes sur différents horizons, comme on peut le voir à propos du génocide des Tutsi du Rwanda[5]. Le grand problème est que n’importe qui croit pouvoir s’exprimer sur l’histoire africaine, en en méconnaissant la complexité, et qu’en général l’assurance est proportionnelle à l’ignorance.

Dans le papier de B. Rayski, le Monomotapa devient le « Monotapa », Aimé Césaire devient « guadeloupéen », Senghor, chantre des valeurs africaines et de la « négritude » est, tout en étant reconnu comme sénégalais, figé en statue de « grand poète français et élu de l’Académie française »…

En outre, effet de manche ou lecture hâtive de notre texte de septembre 2010, B. Rayski nous attribue les considérations de son prédécesseur Dimitri Casali, qui voyait dans la biographie de Napoléon un « formidable exemple d’intégration » à offrir en exemple à un « petit immigré ». Il ne comprend pas que nous ironisions sur cette justification burlesque et sur les rêves ainsi proposés « au petit Mohamed ou au petit Mamadou », quand nous concluions : « ils peuvent rêver aussi de se faire baptiser à Reims… ». Avant de critiquer, il faut comprendre ce qu’on lit, accepter que l’humour existe et ne pas tronquer un raisonnement : nous insistions, sérieusement cette fois, sur la place précoce du continent africain dans l’histoire du monde en prenant l’exemple du commerce de l’or.

Peut-on attendre plus de respect pour le travail des historiens, pour l’ouverture de leur discipline sur le monde, pour la complexité propre à chaque époque et à chaque culture, qu’il s’agisse de l’Afrique ou de toute autre contrée, y compris de la France, qui ne se réduit pas à « une comptine » comme le propose cet auteur !


[3] 
F. Simonis, L’Afrique soudanaise eu Moyen Age. Le temps des Grands empires (Ghana, Mali Songhaï), CRDP, Académie d'Aix Marseille, 2010 199 p.
Histoire de l'Afrique ancienne, VIII°-XV°siècle, dossier n°8075 de la documentation photographique, Paris, La documentation Française, mai-juin 2010, 64 p. 
"IX°-XV° siècle. Les siècles d'or de l’Afrique", dossier publié dans le n°367 de l'Histoire, septembre 2011, p 40-67.
"Asie, Afrique, Amérique. L'histoire des autres mondes" Les Grands cahiers de Sciences Humaines, n°24, septembre-octobre 2011, 77p.                 

[5] Jean-Pierre Chrétien, « France et Rwanda : le cercle vicieux », Politique africaine, n° 113, mars 2009, p. 132-133.

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